Tout commence par du train. Sept heures trente entre Paris et La Bastide Saint Laurent les Bains. La voie passe sur des plaines que l'on connait bien, c'est le chemin de la maison. A Clermont, le Cévenol -ce train vieille école a droit à un nom, en plus de son numéro- se coupe en trois. Les voyageurs les plus audacieux, ceux qui savent prendre leur temps, continuent jusqu'à Marseille[1]. Les plus fatigués restent sur place. Nous avons prolongé, direction Nîmes.

Le paysage s'escarpe alors. Au fond des vallées encaissées, lézarde une rivière tandis que les sommets sont noyés dans les nuages. Il faut dire que le temps est gris, la pluie n'est pas loin. En fait, elle arrive à Langogne, la gare précédant La Bastide.

A la Bastide, l'orage de grèle a la politesse de nous laisser rejoindre l'auvant de la gare avant de se déchaîner. Passage de pantalon à short et couverture des sacs, l'orage en a fini. Les boulistes peuvent reprendre leur partie, comme si de rien n'était. Sur la cendrée, les cochonnets blancs ont presque tous fondu.

L'étape du jour est courte, une heure et demie, peut-être deux s'il pleut. La petite ville est très vite derrière nous et le chemin balisé de rouge et jaune monte dans la forêt. A l'orée des clairières, les arbres retiennent de petits nuages. Alors que la pluie arrive, nous débouchons sur une route qui contourne doucement une abbaye. Celle-ci est gardée par un panneau "accès réservé aux moines". les voies (carrossables) du seigneur sont impénétrables réservées.

Sur la droite, un petit chemin conduit à la tour de Saint Laurent les Bains. Celle-ci, posée sur une falaise domine notre première étape. De là-haut, les sujets au vertige trouvent l'à-pic impressionnant, les autres apprécient la vue sur la vallée. Mais comme il se remet à pleuvoir, nous attaquons la descente, sur un chemin pierreux à moitié abrité.

Le gîte est la première maison du village, nous n'irons pas plus loin ce soir. Les chambres sont confortables et les douches chaudes. Vers sept heures, le dîner est servi dans la grande salle commune. En plus de Sophie, Flora, Pierre et moi, il y a six autres convives, trois qui mélangent cure et randonnée, dont le camp de base est ici et trois itinérants (deux demoiselles et Benoît) que nous reverrons.

Nos hôtes -très accueillants- nous racontent leur vie ici, et nous -vrais citadins- incapables d'imaginer une ville avec cinquante habitants l'hiver... Le kir à la chataîgne met en bouche, l'omelette aux giroles fait saliver, l'agneau marsalé cale l'estomac et le gâteau chocolat-chataîgne achève. Cela se paiera demain, il est l'heure de dormir.

...

La deuxième journée monte et descend, à un rythme pressé car nous craignons un orage (qui ne viendra pas). Les paysages sont montagneux et forestiers. Il fait gris mais les nuages sont assez hauts pour dégager le haut des vallées. Le vert des flancs se dissoud au loin dans l'humidité de l'air. De temps à autres, quelques rayons de soleil percent les nuages et éclairent un rocher, un champ, des arbres... en une gloire irréelle.

Non seulement le topoguide sous-estime les distances mais en plus, il marche plus vite que nous -il est plus que temps de se remettre au sport. Résultat, nos étapes sont plus dures que prévues.

Juste avant le casse-croute, nous rattrapons les deux 'moiselles du gîte de la veille. Elles ont stoppé au millieu d'une forte montée en sous bois, pour cueillir des giroles (ce sera pour ce soir, miam d'avance).

Sur un rocher dominant la vallée, la pause midi est pleine de manques. Le pain de mie longue conservation n'a pas de mie, le fromage au bleu n'a pas de bleu. Il n'y a pas de cuillères pour manger les compotes et le soleil se cache. Qu'importe, la vue est belle.

L'après-midi ressemble au matin, toujours en forêt, à flanc de vallée.

Arrivé sur le plateau venteux qui marque la fin de l'étape, une ferme qui vend des fromages est annoncée. C'est tentant mais il fait vraiment froid et l'absence d'indication de distance nous rappelle que nous sommes épuisés. Ce sera pour demain.

A Montselgues, c'est la sortie de l'école. Une dizaine d'enfants de tous âges court dans les rues. Dans la rue. Le gîte / cantine scolaire / salle des fêtes est tout au bout. On nous ouvre mais la responsable n'est pas là. Il faut dire qu'elle est très occupée avec les toutes les associations et les visiteurs, nous dit-on. Une coupure de journal affichée nous apprend qu'à quelques kilomètres se trouvent des tourbières à droséras.

Il y a deux grandes tables en bois sombre dans la grande salle. Sur une immense carte en relief accrochée au mur, nous retraçons notre itinéraire du jour. Dis-donc, qu'est ce que ça monte ! Même sur la carte, c'est épuisant.

Enlever ses chaussures de marche. Un geste d'apparence anodine que seize kilomètres transforment en vrai bonheur. La douche qui suit est très bien elle aussi. En attendant le repas, je lis quelques pages de La taverne du Doge Lorédan et finis par somnoler. Vent, soleil, marche, nous sommes saoulés.

A table, nous entamons par une soupe tomate vache qui rit (mettre de la vache qui rit, c'est le seul moyen pour que les enfants mangent de la soupe, nous souffle la cuisinière) puis une cassolette ardéchoise[2] avec un tian et les giroles sautées. Ensuite, nous goutons un excellent petit fromage de chèvre. D'où vient-il ? -De Thines. Notre GR y passe demain, de quoi donner des idées à Sophie. Mais avant, une bonne nuit s'annonce, faites la entrer !

...

La troisième journée voit les premières poussées de flemme dans la troupe. Heureusement, le solide petit déjeuner donne des forces et le vrai pain glissé dans nos sacs par notre hôte donne le moral. Et puis aujourd'hui, c'est plus facile : une seule montée, vers le milieu de la journée.

En haut de celle-ci, Thines, un minuscule village ancré sur un rocher. Une table de pique-nique face à la vallée nous tend les bras, et nous y déposons pain, fromage, saucisson. Un troupeau de cyclistes bedonnants, à l'accent du sud halte juste à côté. Leur camion suiveur les ravitaille en bière et chips, la nourriture des sportifs. Dans le bar / magasin de souvenir, nous prenons un coca, un petit chèvre et une bouteille de liqueur de chataignes, pour, à Paris, faire des kirs ardéchois.

L'après-midi est assez tranquille, nous montons sur une crète d'où la vue est belle. Le soleil est toujours discret. Un ancien cheminot nous annonce une heure de marche jusqu'à Dépoudent.

Trois bonnes heures plus tard, nous y sommes. Quelques maisons en pierres plates empilées dont la plupart sont en ruine. Deux habitants. Dont Noé Chat, notre hôte du soir. Vingt ans, et quatre fois plutôt qu'une, M. Chat fait son vin -très fruité quoiqu'un peu jeune, mais vu la consommation du bonhomme l'idée même d'un réservoir tampon fait sourire-, son miel (de chataîgnes évidemment), ses légumes et toutes sortes de fruit.

Lorsqu'un randonneur arrive, M. Chat discute un brin, ça fait toujours dix minutes de passées.

Et pour occuper les soirées, M. Chat fait gîte. Une grange a été aménagé pour cela : douches en béton, pas d'éclairage et matelas (tapis ?) à même le sol, mais ce n'est pas grave car la fatigue fait tout oublier.

Le repas du soir est simple mais copieux. Saucisson, poulet roti et chataignes. En dessert, une coupe de fruits rouges du jardin.

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Au matin, le petit déjeuner est servi sur la terrasse abrité d'un toit de vigne, face à la vallée. Vue imprenable. On comprend ce qui fait rester M. Chat ici : tous les matins, la journée commence avec un grand bol d'émerveillement.

La descente vers les Vans commence, l'étape du jour est la plus facile. Nous perdons quelques instants le chemin mais un à-travers champ fort à propos nous y ramène sans encombre. Là encore, un ruisseau nous accompagne de son chant. Tandis que les autres prennent un peu d'avance, je regarde des feuilles mortes danser dans une petite cascade. Benoît est sur un caillou de l'autre rive. Malgré la fraicheur de l'eau il a pris un bain.

La descente va vite et bien avant midi, le paysage a changé : les arbres sont plus espacés et la terre est sèche. Les maisons sont maintenant provençales. Le soleil aussi a changé, il est maintenant écrasant. Les nuages sont un lointain souvenir. La gourde sert comme jamais et la marche devient fatiguante.

Retour à la civilisation : nous séchons une mousse avant d'arriver dans le petit hôtel -avec piscine s'il vous plait- qui marque la fin du périple. Cartes postales achetées, écrites, timbrées, envoyées. Sacs éparpillés dans la chambre. Douche brulante. Il reste quelques barres de céréales qui serviront pour le kayak demain. En attendant, il s'agit de trouver un petit restaurant.

Vivement les prochaines vacances.

Notes

[1] Plus de neuf heures de trajet...

[2] Une farce viande légume en forme de paupiette.