Ce n'était pas vraiment la faute des régisseurs, ils faisaient ce qu'ils pouvaient. Mais voilà, les spots mettaient un temps fou à s'allumer et à s'éteindre : les transitions étaient donc un peu molles. Et parfois des comédiens parlaient, qui étaient encore dans l'ombre. C'est dommage parce que de bonnes lumières mettent diablement bien en valeur les acteurs. Et en l'occurence, ils l'auraient mérité : 12 bons comédiens[1], une bonne mise en scène (l'autre dirait mise en espace) et des décors amusants, dessinés rupestrement. Je retournerai volontiers voir leur prochaine pièce.

Ce soir, je suis de déclaration d'impro au Théo, mais pas sur scène. Je suis lumière. Paradoxalement, ça veut dire que je suis dans l'ombre, le sixième joueur, celui que personne ne voit. Un acteur essentiel - n'ayons pas peur des mots -, la pierre angulaire du spectacle, le gardien du temps.

Lumière, c'est l'appelation communément admise au sein de la compagnie mais c'est un peu usurpé : il y a un régisseur qui joue en temps réel avec l'éclairage et l'adapte à l'atmosphère ou à l'action qui se construit sur scène. Lumière, ça veut surtout dire coupe. Car l'improvisation étant ce qu'elle est, les comédiens ne savent pas ce qui va se passer. Et comme les comédiens sont un tantinet mégalos, si personne ne les vire, ils restent sur scène. Indéfiniment, ou jusqu'à ce que le public s'en aille. Mais dans ce cas, leur ego en prend un coup. Il faut donc une main extérieure pour leur couper le sifflet, pour leur propre bien. C'est le rôle du lumière.

Mais vous savez forcément quand couper, vous vous faîtes des signes ? Ah non madame, chez On/Off, les impros sont garanties sans canevas, sans redite et sans truc. Rien que du vrai, de l'authentique, pas comme ces pièces où on vous ressert chaque soir le même texte. Non, chez nous, c'est tous les soirs différent. Mais alors quand couper ? Ah ça, c'est toute la question. Je me souviens d'une fois, c'était les débuts de Vincent, sur le thème le pain aux raisins. La lumière s'allume. Jip, pétrissant : on est combien ce midi ? Vincent : treize, je crois. Jip : et tu sais si Judas sera la ? La salle éclate de rire. Je coupe. Une impro de quinze secondes.

Voilà la meilleure coupe : une chute qui fait rire la salle. Or dans ce cas précis, Vincent et Jip se sont plaints, ils avaient une super idée, l'impro aurait pu durer cinq minutes si je n'avais cédé au gag... Tant pis, ils n'avaient qu'à pas être si drôle, si vite. Et voilà l'éternel dillemme du coupeur : trop court ou trop long ?[2] Si l'impro part bien, on a envie de la laisser vivre au risque de la voir s'essoufler. Et si l'impro patauge, faut-il couper cours en laissant une impression de raté ou lui donner une chance avec le risque qu'elle rame de plus en plus ? Et pour le public, vaut-il mieux s'arrêter un peu trop tôt (frustration) ou un peu trop tard (déception) ?

C'est toujours pareil, ce n'est qu'en redescendant que l'on constate que le sommet est passé.

Sur scène, les comédiens ne jouent en moyenne que deux cinquièmes des improvisations tandis que le lumière doit suivre chaque saynette et imaginer ce qu'elle pourrait donner. Fatiguant. Certains ont tendance à faire durer, je serais plutôt du genre à couper court. La première fois que j'ai luminisé, 17 thèmes ont été joués, contre une moyenne de 12. Dès que ça ramait, je coupais, par peur pour les joueurs. Mais depuis, ça va mieux, je suis devenu patient.

Etre aux lumières, c'est également préparer les joueurs avant la représentation. Tout commence une demi heure avant, par un petit échauffement. Décontraction, étirements, puis marche tonique et exercices physiques. Quelques essais vocaux et des exercices de groupe - pour galvaniser les joueurs, créer un esprit de corps, fonder une famille. Le lumière, c'est un peu le Bernard Laporte d'On/Off.

Notes

[1] Pas facile de tenir son rôle pendant plus de deux heures alors que l'on a que peu de lignes...

[2] Car en impro comme en beaucoup d'autres choses, la longueur est importante.