En matière d'action hollywoodienne, s'affrontent deux écoles. John Mc Clane, un type ordinaire plongé dans une aventure extraordinaire, et Jason Bourne, un bonhomme hors du commun dans un monde ordinaire. Comprenons-nous bien, l'aventure extraordinaire ne procède pas nécessairement du super pouvoir ou de la science fiction, elle est extraordinaire car elle se déroule dans un monde aux lois différentes de l'expérience quotidienne des spectateurs[1].

Il s'agit la recette la plus classique pour faire un film d'action : pour les yeux, une bonne dose de pyrotechnique (Je voudrais 2kg de C4 -il y en a un peu plus, je vous le mets quand même ?), pour les oreilles, des fusillades en veux-tu en voilà (ah, John Woo et ses flingues au chargeur sans fond) et un peu de second degré pour lier tout cela. Avec quelques acteurs malicieux (exemple : un Bruce Willis charmeur et un excellent Alan Rickman) et un bon réalisateur, cela donne Die Hard. Simple et efficace, l'assurance d'un bon moment pop corn.

Un réalisateur plus faible sera vite tenté de compenser en forçant la dose d'effets visuels, faisant du taux de destruction (nombre de voitures, trains, immeubles explosés * nombres de morts / métrage de pellicule) et du taux de virtuel (nombre de plans à effets spéciaux / nombre total de plans) ses deux principaux KPIs[2]. Surenchère facilitée par la démocratisation de l'effet spécial numérique mais résultat sans surprise et parfois migrainogène. La devise de l'école Michael Bay : assomons le spectateur avant qu'il ne se rende compte qu'il s'ennuie.

La série des Bourne échappe au schéma traditionnel. Ici, peu d'explosions, peu de coups de feu, pas de combats visiblement chorégraphiés et des effets spéciaux non ostentatoires. Ici, on cherche à faire réaliste. Autre réussite de cette école : Collateral.

Aveux : je suis complètement passé à côté des deux premiers opus lors de leur sortie en salle. Heureusement, Sophie me les a fait découvrir en DVD lors d'un été marseillais. Ce fut une vraie révélation ! J'en ai même lu le premier bouquin. Le premier seulement car le style de Robert Ludlum est indigeste. C'est dommage car l'histoire est passionnante : Jason est un amnésique à la recherche de son passé qui se découvre des talents de tueur... Ce pitch est d'ailleurs -avec les titres des romans- une des rares choses conservées lors de l'adaptation[3].

Micro résumé des épisodes précédents. The Bourne Identity, Jason comprend qu'il est un tueur qui n'a pas su finir une mission. Son ancien chef ripoux se fait descendre par son propre chef et Jason se trouve une petite amie. The Bourne Supremacy, la copine se fait dessouder et Jason part la venger. Il fait tomber son ancien sur-chef ripoux.

La fin du deuxième film semblait définitive, je tire mon chapeau aux scnaristes pour avoir osé commencer le troisième film avant la fin du second. Quant à la vengeance..., elle se termine comme avait commencé la mémoire..., bref, la bourne est bournée[4].

Bon, c'est bien beau tout ça, mais ce troisième film, il est comment ? Vraiment très bien.

Paul Greengrass ne connaît pas le steady-cam, il doit voir trépied comme une injure. Tout est filmé caméra à l'épaule. L'iamge tremble, elle est parfois floue, avec de gros grains. L'esthétique se rapproche d'un Michael Mann, de jour.

Le scénario joue sur deux théâtres : les coulisses du pouvoir et le terrain. Dans les salons feutrés de la CIA s'organisent les plus fourbes intrigues. Lors des têtes à têtes, Greengrass film en voyeur : il se cache derrière des éléments de décor, voire l'épaule d'un personnage. C'est du reportage, et le spectateur sent bien qu'il ne devrait pas être là.

Côté terrain, Jason, les indics et les méchants agents[5] sont suivis de très près. Le spectateur est alors embarqué dans un manège à sensations fortes. Jamais je n'avais ressenti une telle crispation -avec un film qui ne joue pas sur le registre de la peur. Les scènes de foule (Waterloo station et les rues de Tanger) sont une réussite totale.

Côté terrain, il y a aussi les salles d'opération de la CIA. Paul Greengrass nous rend au spectacteur son statut de témoin impuissant, partagé alors avec les méchants... Décidément, Jason est trop fort.

A retenir : le réalisateur fait monter la tension très vite et la maintient très haut tout le temps[6]. The Bourne Ultimatum est un parfait thriller. Voilà une autre différence avec Michael Mann qui ralentit le rythme dès que l'action le permet...

Dernière remarque : Jason voyage un peu partout dans le monde -et surtout de ce côté ci de l'Atlantique. C'est très plaisant d'avoir des décors et des ambiances variées, les scènes d'actions ont toute une saveur particulière...

Entre Paul Greengrass qui maîtrise son sujet, Matt Damon dans un rôle qui lui colle aux pectoraux, David Strathairn en grande forme, Joan Allen impeccable, des effets spéciaux à l'ancienne et un scénario simple mais sans faute de goût, pas beaucoup de place à la critique. Une tout de même, le cahier des charges du scénario imposait visiblement certains éléments qui étaient réussis dans les précédents : une scène de foule, une course poursuite à pied, une course poursuite en voiture, un duel à mort, l'assaut d'un appart' barricadé... Résultat, le canevas ne présente pas grand chose de neuf. C'est dommage mais pas rédhibitoire car ici, c'est la manière qui compte.

Pour un très bonne soirée, à voir avec les tripes, en oubliant tout second degré.

Notes

[1] Voitures qui explosent au moindre contact, bagarres au ralenti, etc.

[2] Key Performance Indicator, comme on dit chez Mac'.

[3] S. qui a supporté les romans deux et trois me confirme qu'ils n'ont rien à voir avec les films...

[4] Jeux de mot faible mais moins si lu par un enrhumé.

[5] MBA joke : en anglais, agent se dit asset, mais vue la vitesse à laquelle les agents disparaissent, il vaudrait mieux utiliser liabilities.

[6] En sortant de la salle, j'étais complètement vidé.