Las Vegas a changé. Epoque 11, l'image était bleutée, piquée, léchée. Et d'ailleurs les extérieurs étaient tous nocturnes. Epoque 13, le grain est visible, la pellicule est jaunie, c'est de jour que l'on filme dehors. Las Végas a changé et on sent bien que le meilleur est passé. Les hôtels sont laids, les casinos inhumains et les coffre-forts toujours plus forts.

Las Vegas a changé. Pas Reuben Tishkoff (Eliott Gould). Associé -à l'ancienne- avec le vilain du film (Al Pacino), il commence le film par se faire rouler dans la farine, ce qui lui provoque une crise cardiaque et met en rogne ses amis, la bande à Danny. La joyeuse troupe de braqueurs cools décide donc de le venger en ruinant le méchant, le soir de l'ouverture de son hôtel casino.

L'enjeu permet quelques scènes à émotion au chevet -fut-il virtuel- de Reuben mais est-ce bien là ce qu'on attend de ce film ? Evidemment non. Si l'on vient, c'est pour voir se dérouler la mécanique des braqueurs. Le spectateur veut se faire embobiner par le plan qui a tout prévu, même l'imprévisible. Il veut que le cinéaste joue avec les retours en arrière, les contre champs, les explications retardées, les coups de théâtre.

Mais Las Vegas a changé, la difficulté -et donc l'intérêt- nait maintenant de la multiplication des cibles (machines à sous, roulettes, black-jack, craps, chambres d'hôtels, diamants, ordinateur...). Tout de même, on regrettera l'envergure d'avant, lorsqu'il s'agissait de percer un coffre-fort, unique certes mais impossible à percer. Moins difficile, moins sérieux, plus drôle. La méthode oceanique passe de la précision chirurgicale au stratagème de gosses[1].

Il y a quelques années, j'avais flashé sur Ocean's eleven. Question de forme. Mise en scène cool, montage cool, acteurs cools, musique cool. Ce film avait une classe -plus qu'une élégance- que les autres n'ont pas. Un petit quelque chose de moderne, qui assume ses paillettes et sa starification à l'extrème tout en jouant l'autodérision, le tout agrémenté d'une mise en scène malicieusement tape-à-l'oeil. So sool, so ironic.

Le douze était une blague, filée dès l'origine, à l'humour trop private. Dommage, il y avait des idées. Le treizième, ressemble plus au onzième. Mais en vieilli. On l'a dit pour Végas, c'est aussi le cas pour les braqueurs : l'un avoue son échec face aux ordinateurs, l'autre utilise des produits chimiques pour séduire et le plan présente quelques failles. C'est presque du relâchement. Mais vue la faiblesse de l'enjeu, c'est compréhensible. Les personnages -mais c'est certainement aussi le cas des acteurs- sont un peu perdus dans ce show qui semble les entrainer, alors qu'avant, c'est eux qui tiraient les ficelles.

Terry Benedict (Andy Garcia) met lui aussi de l'eau dans son vin : il s'amuse de la chute de son ennemi, mais comme un gosse, pas en vilain. Et son passage à la télé (une des dernières scènes du film) est vraiment très drôle.

Quelques mots sur Willie Bank (Al Pacino), le méchant. Enfin, le méchant dans les deux premières minutes du film. Ensuite, c'est un simple patron surbooké sur qui s'abat une chaîne de calamités. Il n'a pas le côté méchant froid intouchable d'Andy Garcia, c'est plutôt un méchant looser. Qu'a-t-il de vraiment méchant ? La gueule[2]. Et encore, à le voir comme un gosse avec son nouveau téléphone en or, on pourrait facilement s'amuser avec lui. C'en est presque triste de voir un tel acharnement.

La troupe est toujours la même : George Clooney me ressemble de plus en plus ; Matt Damon est toujours le gosse un peu pataud ; Brad Pitt continue à manger. Les seconds rôles continuent leurs chemins vers la gloire. Les frangins sont toujours aussi déjantés -ce film est aussi une dénonciation véhémente des inégalités Nord/Sud[3]- ; le Chinois qui parle chinois mais que tout le monde comprend emporte la palme de la blague filée la plus naze du monde[4] ; le vieux continue ses improbables voix... Bref, rien n'a changé.

Les deux minettes des précédents volets ne sont plus de la partie -Soderbergh se sent même obligé de les excuser, deux fois (It's not their fight.)-, elles sont remplacées par une méchante (Ellen Barkin), elle aussi pas vraiment méchante...

Soderbergh est un raconteur d'histoire : on le sait, les Ocean valent uniquement pour la forme : bons acteurs, narration intelligente, mise en scène inventive. Là encore, les écrans partagés, les flashbacks et changements de point de vue s'enchaînent pour le plaisir des yeux. Et -bonus !-, le film est chapitré[5].

Passons à l'essentiel : David Holmes est toujours de la partie. Et sa BO est meilleure que celle du précédent volet. Jazz électrique, rythmique, la musique n'envahit pas, elle accompagne. On l'imagine très tard, dans un bar sombre à gros coussins, encadrant une conversation sans enjeu entre amis, un mojito pas loin. Quelques thèmes du onzième volet trainent par-ci par-là, et David les a un peu rénovés, puisque Las Végas a changé.

La BO d'Ocean's 11 tourne régulièrement à la maison, c'est non seulement parce qu'elle est bien, mais aussi parce qu'elle comprend des bouts de dialogue du film. Celle d'Ocean's 12 n'en compte pas, je l'écoute moins[6]. Que nous réserve celle-ci ?

Et au final, c'était bien Ocean's 13 ? Plutôt, oui. Le divertissment fonctionne même si la surprise n'y est plus.

Notes

[1] Pour preuve, la méthode utilisée pour piéger la chambre du critique hotelier, qui n'a rien à envier à celle utilisée par Bourvil et Belmondo pour braquer le train postal suisse dans le cerveau.

[2] D'après Laurent.

[3] Grève à l'usine mexicainde dés. They want 36,000 dollars. -How many are they ? -200. -200, that's around 7 million dollars. -No, no, 36,000 dollars is the total...

[4] Fabien, prière de rendre ta couronne.

[5] Oui, j'adore les films chapitrés. (Quentin, si tu me lis...)

[6] Il faut aussi dire qu'elle est moins sympa.