C'était il y a deux ans. A l'automne. Il faisait un de ces temps électriques. Nuages sombres, lumière gris-bleue. A peine sept heures du soir et déjà toutes les lumières étaient allumées. Le vent venait de tomber, l'orage s'annonçait.

A l'époque, j'habitais un petit deux pièces, cuisine dans le salon, rue Théodore Deck. Le frigo était vide. Mon estomac aussi. C'était un de ces soirs où l'on a envie de faire simple. Dans le congélateur, il y avait deux steacks hachés et des pommes dauphines.

Je mis de l'huile dans le wok et allumai la plaque. Ce vieux wok en avait vu passer des grillades. Tellement qu'on pouvait dire à l'oreille si l'huile était chaude. Au pssch, donc, je déposai les steacks. Puis les retournai. Quand ils furent décongelés, j'ajoutai les patates. Avec ma spatule, j'agitai pour éviter que cela n'attache. Je commençai ensuite à émietter les steacks.

Ce fut mon erreur.

Il existe une interaction insoupçonnée entre les molécules de steack haché (des protéines) et les molécules de pomme dauphine (de l'amidon). L'huile a certainement un effet catalytique...

Au bout de quelques minutes, le mélange hétéogène patate / steack s'est transformé en une poudre homogène noirâtre aux reflets rougeâtre tandis qu'une grande quantité de fumée s'échappait du wok.

Alors que j'imaginais une consistance se rapprochant du hâchis parmentier -fût-il un peu trop cuit- il fallut se rendre à l'évidence : cette préparation avait les principales caractéristiques physiques d'une poudre de charbon de bois (taille des grains, quelques millimètres).

Quant au goût -car dans un instant de folie j'essayai-, il ne ressemblait à rien de communément admis comme comestible. Seule une éxpérience de pensée permet de s'en approcher. Imaginez le goût guttural de miettes de pain sec frottés sur l'ail avarié puis graissés et fumés. Beurk.

L'orage éclatant au beau milieu de cet instant de désespoir, je ne pus aller acheter quelque chose à grignoter. Je bus donc des litres d'eau, pour oublier. Rien n'y fit. Aujourd'hui encore, quand j'y repense, j'ai la bouche qui s'assèche et un goût de brûlé me vient. Parfois j'en ai des frissons...

Depuis, le wok donne un goût et brûle plus qu'il ne cuit. Il a été remisé sous l'évier.