Depuis l'excellente soirée au New Morning, je rêvais d'un concert du déménageur balkanique en lead. Mercredi soir, j'étais côté soleil pour le concert de Beau-Yann Sous-Le-Fil-Carpe-Aspic.

Commençons par un avertissement et une critique, on en aura alors terminé avec le négatif, ensuite ce ne sera plus que récit émerveillé et autres transcriptions de joie. Qu'on se le dise.

Méfiez-vous du vendeur de sandwichs à gauche puis à droite en sortant du Sunside, il fait les sandwichs les plus dégueulasses du monde (pain rassis, poulet moisi et mayonnaise écoeurante).

Sur les billets vendus à la fnac, il était écrit 21h. Sur les contremarques échangées à l'entrée du sunside, il était écrit 21h. Nous entrâmes vers 20h30, histoire d'avoir une bonne place. Or le concert n'a commencé qu'à 21h40. C'est long mais arriver très en avance permet d'avoir un placement stratégique.

En l'occurence sur la gauche côté piano, troisième rang, à trois mètres de la scène. La scène, cinq mètres par trois surélevée de trente centimètres ; de droite à gauche batterie, contrebasse et quart de queue, entourée de deux fender rhodes, dont un complètement désossé[1].

Le Sunside, c'est un club jazz rue des Lombards, tout petit (moins de dix mètres de large et de long). On y a entassé autant de chaises que possible, et quelques tables pour poser les boissons.

Premier set, premier mojito. Les trois musiciens prennent place (enfin !) sans beaucoup de cérémonie, un type au micro annonce à la basse Rémi Vignolo, à la batterie, Ari Hoenig, et aux claviers Bojan Z. Applaudissements. Et c'est parti pour cinquante minutes de bonheur.

Ce soir, on joue essentiellement les morceaux de Xenophonia, ce qui explique la présence des trois claviers, mais pas uniquement. Pour ouvrir, un morceau un peu free qui n'a toujours pas de nom avec quelques effets électros, puis Niner, un extrait de Transpacifik, accéléré pour l'occasion. Ca part fort, c'est fluide, les trois musiciens s'amusent, ils sourient, blaguent ; bref ils se font plaisir, c'est bon signe. Bojan ferme les yeux, Rémi se penche sur sa basse en souriant, Ari grimace de concentration. Le live c'est un régal tout autant pour les yeux que les oreilles...

Il y a un tout peit instant notable dans un morceau, le nom m'échappe, c'est une rupture de rythme. Le piano marque un silence un peu inattendu et repart avec la batterie de plus belle. Ca dure une seconde sur le CD. Et c'est là que l'on comprend ce qui fait la force de l'impro jazz : à partir de cet instant, nos trois compères brodent cinq minutes, explorant toutes les manières d'annoncer cette transition puis en la ralentissant, en la répêtant en la distordant[2]. Tout en calant des petits solos techniques. C'est du bonheur en ondes.

Deuxième set, deuxième mojito, plus varié en rythmes que le premier (à cent à l'heure). Là, on alterne entre du calme légèrement mélancolique et du joyeux accéléré. Le beau Bojan attaque sur son rhodes du fond (le normal) puis se met à concerter avec son piano. Il joue tantôt de l'un ou de l'autre, parfois des deux en même temps. Son jeu est toujours très rythmique, à tel point que la mélodie semble parfois venir de la basse ou même de la batterie. Il en résulte une musique entraînante et entêtante.

Rémi Vignolo est excellent : sideman précis, visiblement très complice avec les deux autres, solos envolés. Ari Hoenig m'a soufflé. Les bons batteurs sont parfois un peu trop présents (euphémisme pour dire sauvages), mais Ari a savamment alternés solos endiablés, conversations rythmiques et moments plus tranquilles, jeu plus subtil. Un accompagnement haut de gamme.

Pour finir, Bojan prend son clavier trafiqué (au son de guitare éléctrique évoluant vers le vibraphone lorsque la sturation baisse). Le morceau est très rock fusion : puissant, rapide, saturé. Excellent.

Minuit vingt, le troisième set commence. Une bonne partie de la salle est partie. Tant pis pour le métro, on ne vit qu'une fois.

Olivier Temime[3] (sax ténor) se joint à la fête pour deux morceaux, puis le trio reprend ses improvisations délirantes. Pour finir en beauté, CD-Rom un morceau de Xenophonia (qui était aussi sur Koreni dans une version différente) ; sans la flûte de Krassen Lutzkanov le morceau perd sa couleur balkanique et flirterait avec le swing à l'ancienne s'il n'était joué à deux cents à l'heure. On croit le bouquet final arrivé mais nos trois amis relancent sur quelque chose de plus léger pour finir tout en douceur...

Deux heures, Bojan remercie la salle. Il est temps de filer. J'attrape un taxi. La course se terminant en 90 centimes, je réalise un vieux rêve en lui sortant des billets à l'aveugle et disant gardez la monnaie...

Hier soir, je me suis maudis de ne pas avoir pris mon appareil photo. Je me console a posteriori en me disant que j'étais tellement pris par la musique que je n'aurais pas pu en prendre ou que si j'en avais prises, je n'aurais pas pu profiter pleinement de la zique. Enfin, toujours est-il que j'avais mon téléphone et que j'ai manqué quelques clichés sympas.

Bojan Z Trio au Sunside

Bojan Z Trio au Sunside

Vivement la prochaine !

Notes

[1] Pour ceux qui se demandent comment ça marche un rhodes, c'est assez simple : les touches actionnent des maillets qui tapent sur des cordes qui sont reliées à des plaques métalliques -genre vibraphone- ; d'où le son métallique...

[2] Les jazzmen ont cette chance : pour eux, improviser, c'est constamment reprendre et améliorer ce qui vient d'être fait, c'est un présent continu. Au théâtre, l'impro c'est de l'instantané. Hélàs.

[3] Il m'a semblé manquer légèrement de confiance en soi par moments, mais peut-être me trompé-je.