Garibaldi. Il s'assit dans un carré, et presque sans s'en rendre compte, sortit son bouquin. Le grand black en face de lui prenait trop de place, il ne savait pas comment mettre ses jambes. Peu à peu, la bataille de jambes prit le pas sur l'intrigue. Il reposa son bouquin lorsqu'il se rendit compte que c'était la cinquième fois que Marlow décrochait son téléphone. Pas de marque page. Il l'avait sur le quai. Il avait dû tomber avant qu'il ne monte dans le train. Soupir de découragement.

Saint-Lazare. Le grand black descendit et bouscula le type qui mettait le CD de la BO de Garden State dans un lecteur. Il commençait à replacer ses jambes lorsqu'elle s'assit en face de lui. Plutôt jolie. Elle surprit son regard. Instantanément, il détourna les yeux en direction du plan de la ligne. Après Saint-Lazare, c'est Miromesnil. Il laissa passer quelques secondes et jeta un coup d'oeil à la jeune fille. A peine un instant. Juste le temps de vérifier qu'elle ne le regardait plus. Puis il fixa un fauteuil plus loin dans le wagon.

Encore quelques secondes, puis à nouveau, il jeta un coup d'oeil furtif à la fille. Cette fois-ci, les yeux noirs l'attendaient. Il détourna la tête, il me sembla qu'elle aussi. Il regarda ses mains - une bague à l'annulaire droit. Puis remonta la manche gauche de son pull - à carreaux. Il sauta directement de l'épaule à ses lèvres. Puis très vite ses yeux, son nez, sa main, sa bouche, ses yeux, le plan de métro et ses yeux. Elle avait un air espagnol. Des yeux noirs légèrement maquillés et les cheveux attachés. Joli visage.

Que regardait-elle ? Sa main gauche... Oui, elle regardait sa main, qui tenait un fleuve noir. Il se demanda si sa main était propre. Quel livre aurait-elle aimé qu'il lise ? Pourquoi fallait-il qu'aujourd'hui, il lise un polar ? Elle leva les yeux. Il détourna son regard aussi vite que possible. Elle l'avait vu, c'était certain. Il eut soudain extrèmement chaud et sentit que ses joues rougissaient. Il ne pouvait pas passer tout le reste du trajet à fixer le plan de la ligne. Il voulait la regarder. Mais sans qu'elle ne s'en apperçoive. La vitre ! Il regarda le reflet de la fille dans la vitre. Elle faisait de même et baissa les yeux.

Elle rougit un peu puis, doucement, releva les yeux. Ils se regardèrent quelques secondes. Il voulut lui demander son prénom. Elle avait peut-être vingt-cinq ou vingt-huit ans. Devait-il la vouvoyer ? Ce serait assurément plus poli mais aussi plus distant. Elle avait un joli sourire. Il tremblait. Elle mordilla sa lèvre inférieure. Il n'avait jamais abordé d'inconnue. Elle n'avait aucune raison de s'intéresser à lui. Il n'avait rien de prévu ce soir. Elle allait le repousser. C'est alors qu'il entendit son coeur, il ne battait pas vite mais très fort - des coups de marteau assourdis qui résonnaient dans sa poitrine.

La fille mit son sac sur ses genous. Elle allait descendre. Montparnasse. Lui aussi descendait à Montparnasse. Moi aussi. Ils se levèrent et descendirent du métro. Ils commencèrent à marcher sur le quai, côte à côte, à la même vitesse. A l'embranchement pour la 4, elle ralentit. Il comprit. Il voulut lui demander son nom, mais n'osa pas. Ils se séparèrent. Il fit deux pas, s'arrêta et regarda l'autre tunnel. Elle le regardait aussi. Quelqu'un passa entre eux qui rompit le contact. Elle reprit sa marche. Il voulut courir lui demander son nom mais ses jambes étaient en coton. Il s'assit. Il n'avait pas plus de force que s'il venait de courir un cent mètres.

...

Le lendemain, il quitta le boulot à la même heure. Il s'assit à la même place. A coté, il y avait le même type. Saint-Lazare, elle n'était pas là. Il fut soulagé.