Critiques cinématographiques croisées
Par Bertrand Ytournel le mardi, 24 janvier 2012, 08:52 - critique - Lien permanent
Ouvrons 2012 par un coup d'oeil dans le rétroviseur. Troisième trimestre 2011, période faste sur le plan cinématographique. Beaucoup de très bons films à l'affiche : Crazy Stupid Love, Drive, The Artist, Les marches du pouvoir, Polisse, Intouchables, Tintin, Mission Impossible 4.
Critique méthodique
Plutôt qu'une critique par film, je tente le jeu de la critique croisée, selon une analyse multi-axes qui vise à trier les films à l'américaine du cinéma à la française, avec pour prototypes Indiana Jones et la dernière croisade et Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle).
Évacuons tout d'abord la critique évidente sur la méthode : oui, ça ne veut pas dire grand chose, et alors ?
Par ailleurs, vous noterez qu'on ne procède pas ici à une évaluation absolue des différents films : il s'agit de classer ce huit là sur un axe, par exemple du plus mis en scène au plus simplement filmé...
Enfin, ce classement ne présume aucunement de la qualité des films, tous bons voire très bons.
8 films, 6 axes
Fiction / réalité
À droite, le scénario s'inspire de faits réels ou illustre la vraie vie. À gauche, l'histoire est extravagante, née de l'imaginaire de cerveaux fertiles (ce qui ne veut pas dire qu'elle soit incohérente).
Dans le générique de fin d'Intouchables, le "vrai" Philippe et le "vrai" Abdel (Driss) sont réunis, pour nous rappeler que le romancé est basé sur un fond de vrai...
Impact physique / ressenti intérieur
Cet axe mesure l'impact sur le public : à gauche le spectateur est physiquement impliqué (souvent sous forme de tension musculaire), il peut ressortir éreinté d'une séance ; à droite, c'est plutôt son esprit qui est sollicité (soit que le film donne à réfléchir soit qu'il transmette des sentiments forts), en sortant de la salle, le spectateur est changé.
Ce Tintin qui va à cent à l'heure et entraine le public dans un voyage sans temps mort n'est pas celui d'Hergé, mais l'interprétation de Spielberg[1].
Polisse est le genre de film qui vous remue, à la fois physiquement et mentalement et qui alterne des émotions très dures et des fulgurances libératoires : après la boule dans l'estomac, le fou-rire...
Muet / verbeux
À droite, les dialogues sont léchés et portent l'essentiel du sens. À gauche, l'expression fait la part belle au corps.
Les marches du pouvoir est un film excellent film dialogué ; normal, c'est l'adaptation d'une piece de théâtre.
Les dialogues de Polisse sont extrêmement bien écrits. Mais ce ne sont pas de jolies phrases pleines de sens, percutantes. Au contraire, le but est d'imiter au mieux les dialogues de la vraie vie, avec leurs incohérences, leurs répétitions, leurs erreurs (à ce titre, la scène de la cantine est un modèle).
Ryan Gosling / Joey Starr
Ici ce n'est pas tant l'opposition entre le rappeur bad boy et le beau gosse à la mode[2] qu'un éclairage sur la formation d'acteur. À gauche des années lissantes d'actor's studio et à droite, une gueule d'acteur formée sur le tas.
Pas simple d'identifier les acteurs derrière les personnages motion-capturés de Tintin : Jamie Bell (les yeux) et Andy Serkis (la bouche, le nez) ça passe encore, par contre impossible de reconnaitre Daniel Craig, complètement effacé derrière Sakharine.
Un mot tout de même sur Ryan Gosling : sexy dans Crazy Stupid Love (même en mangeant une pizza), attachant dans Drive (où vous noterez ses faux airs de Jean-Paul), et perdant brutalement ses illusions dans Les marches du pouvoir. Un futur grand.
Mis en scène / filmé
À droite, la caméra est fixe ou presque, à hauteur d'homme, pourquoi compliquer ? À gauche, on invente des cadrages et des effets de style.
Drive a gagné le prix de la mise en scène à Cannes. C'est vrai que c'est un film soigné, l'image est belle mais certains effets (ralentis) ont provoqué des éclats de rire dans la salle où j'étais. Une mise en scène tranchée ne peut pas plaire à tout le monde.
Dans l'histoire comme dans la mise en scène, Mission Impossible 4 porte la patte de Brad "les indestructibles" Bird et traine de l'ADN "animation" - ça transpire dans le générique, dans les scènes d'action et dans les injections d'humour gag.
3D THX / minimal
Derrière l'appellation 3D THX se cachent tous les effets visuels et sonores ajoutés en post-prod, qui créent de l'extraordinaire. Les minimalistes, eux, ne s'embarassent pas de complications chères, pas toujours réussies et parfois superflues.
Notez que The Artist, malgré son aspect low-tech (N&B, muet), nous en met tout de même plein les oreilles (l'excellente bande originale et une jolie scène bruitée vers la moitié du film).
Sobre, Crazy Stupid Love est une comédie romantique sans l'aspect girly qui sous-tend souvent ce genre de films. Il est filmé comme un vaudeville, où plusieurs destins s'entrecroisent pour finalement se téléscoper dans ce qui aurait dû être la scène finale...
Conclusion
Voici en couleurs, la synthèse. Où l'on apprend que le plus français des films est Intouchables et le plus américain Drive.
Osons une conclusion élucubrée : The Artist est bien balancé ce qui explique pourquoi il plait aux US (vivement les Oscars). Intouchables par contre est trop typé frenchy pour accrocher - c'est de l'excellente matière à remake...
Les marches du pouvoir n'est pas dans le ton des films à complot américains, George Clooney cultive (ou démontre) ainsi son côté atypique.
Notes
[1] D'ailleurs Steven l'explique très clairement dès les premières secondes du film, où Hergé croque le portrait de son héros, façon ligne claire...
[2] Qui en plus est bon acteur : le genre de type détestable pour n'importe quel quidam qui emmène sa belle au cinoche et souffre évidemment de la comparaison... Grrrr.