La Traviata
Par Bertrand Ytournel le mercredi, 20 juin 2007, 22:01 - critique - Lien permanent
J'ai des amis formidables dont certains abonnés à l'opéra de Paris et aux abonnés absents pour la plupart des spectacles qu'ils ont réservés. Après Don Giovanni à Bastille en janvier, j'en remplaçais un mardi soir au quatrième balcon, premier rang au centre, du palais Garnier, pour La Traviata.
Tout commence par une course contre la montre...
18h15, Saint-Quentin-en-Yvelines. Sur le quai de la gare, on annonce des perturbations. Peu d'inquiétude cependant, il me reste une heure quinze avant le lever de rideau.
18h28, heure annoncée de départ de mon train, il n'est toujours pas en vue.
18h35, PERU -c'est le petit nom de mon vieux train bondé et non climatisé- démarre, direction Monparnasse. Petit à petit, le stress monte, accompagnant la température. Ce n'est pas tant dû à l'incroyable durée des arrêts en gare mais plutôt à son extrême lenteur. Le temps défile plus vite que le paysage.
18h47, un peu avant Versailles Chantiers, j'envoie un sms alarmant : "train bloqué. 80% de chances de retard". C'est d'autant plus rageant que les billets sont dans ma poche, ils ne pourront même pas profiter à quelqu'un d'autre.
18h53, l'annonce de l'espoir : le train sera sans arrêt jusqu'à Montparnasse.
19h10, je cours à travers la gare Montparnasse en direction du quai de la 12. Trois remarques : 1) l'ensemble costume cravate et chaussures de ville ne favorise pas la performance athlétique, 2) le tapis roulant à grande vitesse ne fonctionne jamais et 3) il faut que je me remette au sport.
19h15, la rame démarre et j'enrage : il y a une forte probabilité pour que j'arrive juste en retard.
19h26, station Madeleine -je n'ose tenter la correspondance, il y a des travaux à Opéra et toutes les lignes ne s'y arrêtent pas- c'est de nouveau un sprint. Sophie attend sur les marches de l'opéra depuis 45 minutes. Si seulement elle pouvait me prêter un peu de son avance. Si seulement elle pouvait retarder retarder la représentation. Si seulement elle pouvait s'enchaîner à la porte . Je divague, cerveau mal oxygéné.
19h30, j'y suis. Nous grimpons les quatre étages. L'ouvreur nous explique que c'est trop tard pour rejoindre nos vraies places, nous les aurons à l'entracte, en attendant, c'est strapontin. Un moindre mal. Nous nous asseyons aussi discrètement que possible sous les regards réprobateurs des encostumés qui n'ont pas pris le train. Les premières notes couvrent -hum !- les grincmements des strapontins. Je suis en nage, mais à l'heure. Presque.
La Traviata, peut-être le plus connu des opéras de Verdi, adapté de La Dame aux Camélias d'Alexandre Dumas [1], suit le tragique destin de Violetta Valéry, une mondaine parisienne qui meurt de la tuberculose.
La pièce est centrée sur Violetta que l'on voit tomber amoureuse, se perdre par amour pour finalement mourir sur scène.
Premier acte, lors d'une fête chez Flora Bervoix, Alfredo Germont déclare sa flamme à Violetta qui commence par le repousser puis qui se dit que l'amour c'est plutôt chouette.
Trente minutes plus tard, premier entracte. C'était une soirée de l'AROP -l'association pour le rayonnement de l'opéra de Paris- d'où costumes et robes de soirée, plus encore qu'à l'accoutumée, beaucoup d'Xs en grand uniforme, un peu moins que pour le bal, plus des petits fours[2] et champagne sinon à volonté du moins en quantité suffisante pour réhydrater le sportif d'opérette.
Second acte, trois mois ont passé. Violetta vit avec Alfredo. Alors qu'ils s'aiment et sont heureux, le père d'Alfredo convainc Violetta de renoncer à son fils -de sacrifier son amour- pour le bonheur de sa famille.
Un changement de décor plus tard, Violetta est au bras du Baron Douphol à une fête chez Flora. Alfredo, saoul et désespéré, fait du tapage et défie le baron alors que Violetta ne peut lui avouer qu'elle le quitte par amour.
Une heure passe, deuxième entracte et nouvelle flûte de Mumm.
Troisième acte, quelques années ont passé. Violetta est sur son lit de mort quand Alfredo apprend le sacrifice qu'elle a consenti pour sa famille. Il la rejoint, de même que son père qui s'excuse pour tant de mal. Alors que Violetta peut enfin être heureuse, la tuberculose l'emporte...
Mise en scène moderne : les décors et costumes sont contemporains. De même que les attitudes -des danseurs notammment, dont un qui ne fait que de la break-dance- ce qui tranche parfois un peu avec les paroles mais rien de choquant.
Les foules sont bien gérées, il y a toujours quelque chose de surprenant à voir, placé dans un coin pour ne pas perturber celui qui préfère regarder les chanteurs. Les scènes à deux ne sont peut-être pas assez statiques (les personnages ont tendance à parcourir la scène un peu vide sans vrai but).
Quelques détails à la marge méritent l'attention des spectateurs : premier acte, scène n, Alfredo et Violetta sont seuls au premier plan. Tout au fond de la scène une danseuse saoule joue avec une porte, elle disparait à moitié, seules ses jambes dépassent puis elle s'envole, c'est curieux. En fin d'acte, joli jeu avec les manteaux des protagonistes.
Au deuxième acte, scène 1, Alfredo bricole une tondeuse à gazon, amusant.
Au troisième, Violetta chante quelques courts apartés au milieu de la foule ; lorsqu'elle s'adresse au public, tous les autres chanteurs se figent au milieu de leur mouvement, la lumière se tamise et un spot éclaire la soliste. Bel effet.
Puis à la fête de Flora les danseurs saoûls enchainent des pas qui -effet de l'alcool- dérivent vers du rock de plus en plus acrobatique[3].
Les décors sont simples mais offrent de nombreuses possibilités de jeu -il n'y a que la chambre de Violetta, dernier acte, qui ne m'a pas convaincu : c'est une scène dans la scène mais on ne voit pas trop où se trouve la rue, la maison, les personnages y sont un peu perdus.
Musique et chants que je découvrais, mis à part les grands airs les plus connus.
Mélodies assez rythmiques (beaucoup de cordes pincées pour accompagner les parties chantées), alternant thèmes calmes à la seule flûte ou clarinette et déchaînement de tout l'orchestre avec cors et timbales assourdissants. Chaque tableau a sa couleur propre. Le résultat est très illustratif, laissant une grande part au chant (quelques a capella) et au jeu.
Christine Schäfer (Violetta) réalise une jolie performance. Il n'y a qu'une scène où elle n'est pas sur scène à chanter. Energique puis troublée, désepérée puis heureuse, elle mérite son ovation à la fin...
L'opéra, c'est chouette, encore merci les Greg's.
Commentaires
> Sophie attend sur les marches de l'opéra depuis 45 minutes.
Ben oui, pour moi c'était tout l'inverse : des perturbations étaient annoncées pour toute la semaine sur le RER A donc je suis partie plus tôt que j'aurais dû pour compenser. Et le trajet s'est déroulé parfaitement normalement...
C'était nettement moins stressant dans ces conditions.
Aaaaah, tu me rends nostalgique là. Pas de Versailles Chantiers (ça non, pas trop), mais de Garnier, où le premier opéra que j'ai vu était Faust (en costumes contemporains aussi). Après, je suis plus souvent allé à Bastille.
Une belle soirée, en effet.
Ouais vachement bien, à part qques vieux croutons qui ont sifflé le metteur en scène
Ce soir là, quelques sifflets ont salué le premier acte, vite couverts par les applaudissements. Note : La Traviata a eu une très mauvaise critique dans le canard, et c'est la seule que j'aie lue.
UNE TRAVIATA DEVOYEE
Nous n'avons pas vu le même spectacle car je ne n'ai jamais vu et entendu une Traviata aussi médiocre. Une mise en scène détestable qui se croît décalée mais qui est digne d'une MJC de banlieue (bravo pour la tondeuse et le transat) ; un chef d'orchestre qui n'a rien compris à Verdi (pire que Lombard c'est peu dire) ; un José Van Dam à bout de souffle ; un Alfredo très prometteur, puissant mais dont la ligne de chant fut très moyenne (il semble que ses désaccords avec le chef sur beaucoup de points aient altéré son envie). Que dire de Christine Schäfer, dont la voix faible n'est pas taillée pour le bel canto : les aigus sont sans couleur, les trilles tronqués et elle est très loin du mi-bémol (certes facultatif dans la partition ) dans le « sempre libera » où la vocalise finale est massacrée; même le "Ah dite a la giovine" est raté (notes blanches dans le pianissimo) ; seul le "Addio del passato" est à peu prêt supportable. Elle chante la Traviata comme du Alban Berg et le rôle de Violetta est bien trop difficile pour ses capacités vocales. Aucune émotion ne ressort de ce mélodrame. Seuls les choristes font vraiment bien leur travail. Comment expliquer une telle erreur de casting ? (budget, provocation, incompétence…). Avec cette Traviata de Marthaler qui n’est plus de Verdi on touche le fond.
Les habitués de l’Opéra en ont assez du trio infernal Cambreling, Viebrock et Marthaler car ils sont ringuards à souhait par rapport à des Patterson, Decker ou autres Chéreau qui eux respectent non seulement l’œuvre dont ils ont la charge mais également les artistes et le public.
Les critiques sont d'ailleurs mauvaise (Le Monde, les Echos, Canard enchaines…).
Mon oreille n'est certainement pas assez affutée pour me permettre de critiquer la mise en musique -d'autant que je découvrais Verdi pour l'occasion-, la seule chose sur laquelle je puisse m'appuyer c'est que j'ai globalement apprécié...
Pour la mise en scène cependant, je ne partage pas votre impression delmonaco : lors de la création de La Traviata, Verdi voulait quelque chose de contemporain. Il voulait que, sur scène, on porte les mêmes habits que dans la salle. (Ce fut un "choc" à l'époque.) Il me semble sinon naturel, pour le moins justifiable, de réitérer en "contemporanisant" à nouveau la mise en scène... J'ai bien aimé le transat' -une Traviata à Saint Trop'- et la tondeuse m'a amusé... Par contre, j'étais moins enthousiaste lors de la danse mécanique des invités aux tiquets lors du premier acte.
A Bertrand,
Un conseil, offrez-vous le DVD de la Traviata de Salzbourg (2005) avec Netrebko, Villazon, Hampson, dirigé par Rizzi et mise en scène par Decker. C'est une pure merveille non seulement au niveau du chant (Anna Netrebko surtout) mais également en ce qui concerne les décors (très épurés) et les costumes (contemporains). C'est pour moi LA référence qu'il faut avoir avec les versions Cotrubas-Kleiber et Callas (1955).