Entrons tout de même dans les détails.

Mise en scène

Haneke fait du moderne. Il transpose la pièce dans une tour en verre de la Défense. D.G. est un patron -costume sombre, chemise bleu-ciel, cravate rouge- et Leporello est son assistant -costume sombre, chemise bleu-ciel, cravate bleue[1]. Zerlina et Masetto font partie de l'équipe des techniciens de surface de la tour. On change d'époque mais on garde les même castes sociales.

Codes sociaux. Les paroles (la traduction est projetée au-dessus de la scène) sont datées, les relations entre les personnages sont empreintes de la réalité sociale d'une époque. Et ce n'est pas la notre. Résultat, les réactions des personnages ne collent pas avec leur univers. On traduit bien les opéras, pourquoi ne pas en modifier quelques répliques ?

Pour faire moderne, on déshabille une ou deux femmes sur scène, on fait une scène d'amour et D.G. embrasse Leporello. Pour faire moderne, la liste des conquètes de son patron est tenue par Leporello sur un PDA -très drôle !- qui lui éclaire joliment le visage quand il chante...

Pour faire moderne, on prend un décor moderne. Froid. Figé. Et vide. Côté cour (droite), une immense verrière donnant sur les autres tours de la défense -un miroir sur le sol rend très bien l'impression de vide- et deux petites tables de café. Côté jardin (gauche), quatre portes -dont deux d'ascenseur- et un balcon intérieur.

Le décor est unique. Très beau certes, mais unique. Or notre pièce se joue dans quatre -3 si on fait un effort d'imagination- lieux différents. Il en résulte une certaine confusion[2]. Dommage.

Notons aussi que le deuxième acte est moins abouti que le premier, plus confus. Un regret : l'ultraréalisme de notre monde moderne a poussé Haneke à changer la fin[3].

Musique

L'opéra, en vrai, c'est un régal. Mozart -Wolfgang Amadé comme ils disent sur le programme-, c'est consensuel ; Don Giovanni est son opéra le plus sombre et le plus moderne. Thèmes graves et lourds. Une tension qui monte tout au long de la pièce pour se terminer par une scène époustouflante (suivie d'un micro happy end ajouté après la toute première représentation qui s'était finie en eau de boudin).

Les interprêtes étaient tous très bons -pour autant que j'ai pu en juger- et très impliqués -la mise en scène les poussant à chanter dans des positions parfois compliquées (couché, plié, rampant, se battant, etc.).

Une originalité : lorsque D.G. fait venir un orchestre sur scène, c'est un vrai orchestre qui monte sur scène pour jouer (il paraît que c'était la première fois que ce n'était pas l'orchestre de la fosse qui jouait).

Allez, une critique tout de même, car il en faut. Michael Güttler, le chef, a été bien sage dans son interprétation. Il a manqué un peu de fantaisie. Toute la pièce s'est jouée sur le même rythme, d'où une ambiance un peu monotone. C'est d'autant plus dommage que pendant les parties parlées, l'accompagnement au clavecin était discret et il y avait de nombreux blancs. Güttler a dû penser que cela suffirait à casser le rythme. Pas sûr.

En poussant un peu, on pourrait dire que la fin du premier acte était ennuyeuse -en tous cas, elle était vraiment éprouvante : par manque de changement de rythme, Güttler a épuisé ses spectateurs[4], l'entr'acte était vraiment bienvenu.

Le deuxième acte fut mieux maîtrisé musicalement. On m'a dit que le happy end était facultatif, je trouve qu'il détonne trop avec la violence de la scène précédente. Mais peut-être faut-il ça pour détendre le public...

Alors ?

Il y a beaucoup de critiques dans cette note. Trop en fait, car Il dissoluto punito ossia il Don Giovanni, c'était vraiment très bien.

Un premier acte très bien mis en scène mais un peu éprouvant. Un second acte musicalement meilleur mais plus fouilli.

Au final, les chanteurs, musiciens et le chef d'orchestre ont eu droit à une longue ovation. J'ai beaucoup aimé, cet opéra ne méritait pas les sifflets lors de la première, l'an passé.

C'est décidé, l'année prochaine, je m'abonne à l'opéra.

Notes

[1] Ce qui facilite la scène d'échange de costume mais décridibilise un brin le quiproquo qui doit en découler.

[2] Si nous sommes dans une tour d'entreprise, pourquoi y a-t-il des appartements ?

[3] Ce n'est pas le mort qui tue D.G. mais Donna Elvira.

[4] Qui ont vécu le premier temps où ils pouvaient applaudir comme une vraie libération...